Une chapelle flottante à Conflans-Sainte-Honorine
Découverte du mois de Septembre
Pour ce mois de septembre, nous vous proposons de partir à la découverte d’une église… sur l’eau ! La capitale de la batellerie, Conflans-Sainte-Honorine, abrite une curiosité : un bateau-chapelle. Construite au début du XXe siècle, cette péniche de 70m de long est parfois surnommée la « cathédrale des mariniers ».
« Je Sers » : de chaland à chapelle
Un chaland en béton armé
Le Je Sers a été construit en 1919 à Amfreville-sous-les-Monts (Eure). Il était alors nommé le Langemarck, nom d’une commune belge située près d’Ypres. Plusieurs bateaux en béton armé sont construits durant cette période : les services publics se tournent vers le béton pour la fabrication de chalands destinés à la batellerie en raison de la pénurie d’acier. Les chalands sont de grands bateaux à fond plat, souvent non pontés, qui servent au transport des marchandises sur les rivières et canaux. Le Langemarck appartient à une série de chalands de 1000 tonnes construits entre 1917 et 1919 pour l’Office national de la Navigation (ancêtre des Voies navigables de France) et destinés au transport du charbon en vrac. Le Langemarck obtient son certificat de jaugeage et son immatriculation en juin 1919 sous le n°4195 pour l’Etat français. Il est à nouveau immatriculé le 24 juin 1924 sous le n°9401, numéro qu’il a conservé depuis.
L’exploitation de ces chalands par l’Office national de la Navigation a fait l’objet de critiques. Créé en 1912, l’ONN est un établissement public destiné à organiser et développer l’offre batelière. Il n’était par principe pas appelé à rivaliser avec les sociétés de navigation et la petite batellerie. L’usage sur la Seine des chalands en béton-armé, dans un contexte déjà difficile d’après-guerre, était perçu comme une concurrence déloyale Ces accusations semblent avoir encouragé l’arrêt de leur exploitation à la fin des années 1920 puis leur mise en vente progressive. Comme l’ensemble des chalands en ciment armé de l’ONN, le Langemarck reste à l’abandon plusieurs années avant d’être mis en vente et de retrouver un nouvel usage.
D’autres bâtiments construits sur ce modèle ont pu nous parvenir suite à des reconversions. C’est le cas notamment de l’Asile Flottant (aussi appelé Louise-Catherine), ancienne péniche de l’Armée du Salut dont la rénovation avait été confiée à l’architecte Le Corbusier. Fermé en 1994 pour des raisons de sécurité puis vendu en 2006 à l’association Louise-Catherine, le bateau est classé au titre des Monuments historiques en 2008. Un projet de réhabilitation est en cours.
La reconversion en bateau-chapelle
C’est l’abbé Joseph Bellanger, aumônier national de la batellerie et fondateur de l’Entraide sociale batelière (1935), qui permettra la reconversion du Langemarck en établissement flottant. Le chaland est acheté par L'Entraide Sociale Batelière (ESB) par cession n° 693 du ministère des Travaux Publics le 8 avril 1936. Le projet de transformation du bateau est confié à l’architecte Pierre Robuchon.
La transformation du chaland a consisté en une adaptation de la structure existante. La division tripartite de la cale est conservée pour l’agencement de l’espace : le logement du prêtre et les bureaux à l’arrière, une salle polyvalente au milieu et la chapelle à l’avant. La chapelle, qui occupe un tiers de la surface du bateau, est aménagée selon un plan d’église : elle comporte les espaces caractéristiques de la nef, de l’abside et du chœur. L’architecte a ajouté une surélévation en ciment armé qui se fond au reste de la structure afin d’aménager un pont. Cette surélévation a été réalisée par la société d’entreprises de maçonnerie et de béton armé (SEMBA). Des ouvertures y ont été aménagées : des hublots octogonaux ponctuent toute la longueur du bateau et un dôme en verre éclaire le chœur de la chapelle. Le choix des hublots inscrit le bateau-chapelle dans un style maritime et fluvial. Les hublots de la chapelle sont munis de vitraux réalisés par le maître-verrier Jacques Le Chevallier. Mobilier et statuaire sont créés pour la chapelle : de style Art déco, ils ont été réalisés principalement par le sculpteur et ébéniste Paul Croix-Marie, un des fondateur de l’association artistique chrétienne des Artisans de l’Autel. La fonction religieuse du bateau est soulignée par les attributs symboliques dont est pourvue la chapelle à l’intérieur, tandis qu’à l’extérieur une croix bleue orne le bateau.
Rebaptisé Je Sers par l'abbé Joseph Bellanger, le bateau est inauguré et consacré comme bateau-chapelle le 11 novembre 1936. Le Je Sers est à la fois le siège social de l’Entraide Batelière et de l’Aumônerie nationale des bateliers. Il marque le lien entre les deux actions, unissant les vocations sociale et religieuse pour mener à bien une mission d’assistance au monde batelier qui subit une grande précarité à l’époque de sa création.
Devenu bateau-chapelle, le Je Sers est amarré à Conflans-Sainte-Honorine : d’abord en aval du pont de Saint-Germain, en face de la Société de Remorquage des Batelleries Réunies, puis au quai de la république où il se trouve toujours. Les établissements flottants, amarrés aux berges, ne sont pas destinés à se déplacer. Toutefois, le Je Sers a été amené ponctuellement à quitter son port d’attache pour participer à quelques manifestations : ce fut le cas par exemple lors de l’Exposition Internationale des Arts et des Techniques de la Vie Moderne de 1937 et du Salon nautique international de Paris en 1951.
Le Je Sers est un des rares bateaux-chapelle répertorié en France. Un autre exemple est Le Lien, le bateau-chapelle des bateliers de Lyon : il s’agit d’une péniche Freycinet construite en 1957 (Strasbourg) et transformée en chapelle en 1997.
Le bateau-chapelle de Conflans-Sainte-Honorine est toujours en activité. La chapelle est dédiée à saint Nicolas, le patron des Bateliers et mariniers. Toujours attaché au monde des mariniers, le Je Sers est surtout un lieu d’accueil : la vocation sociale du bateau s’est élargie avec le temps au-delà de cette communauté. Différentes associations y mènent aujourd’hui des actions solidaires. L’intérêt patrimonial du bateau a permis son classement au titre des Monuments historiques en 2020
Pour aller plus loin : PINCHEDEZ Annette, « Les Bateaux-Chapelle. Œuvres religieuses et sociales XIXe et XXIe siècles », Les Cahiers du musée de la Batellerie, n°49, 2003.
Explorer : Conflans, capitale de la batellerie
L’histoire de Conflans-Sainte-Honorine est marquée par l’activité des mariniers. Située au confluent de la Seine et de l’Oise, la commune est considérée comme la capitale de la batellerie. Le patrimoine fluvial y est valorisé : il s’y trouve le musée de la batellerie et des voies navigables, ainsi que la Halte patrimoine où des bateaux conservés à flots (port Saint-Nicolas). Il s’agit du Jacques (1904) et du Triton 25 (1954), deux remorqueurs historiques acquis par l’association des Amis du Musée de la Batellerie pour les sauver du déchirage. Tous deux protégés au titre des Monuments historiques, leur restauration et leur entretien font l’objet de subventions auxquelles participe le Conseil Départemental des Yvelines.